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The Tatami Galaxy: Couleurs, formes et émotions

Il y a une critique que j’entends souvent chez les malandrins, c’est que l’animation était meilleure autrefois. Cette critique, proche cousine du “c’était mieux avant” non argumenté qui est pour sa part est réservé aux faux-blasés qui n’ont pas vu d’animés depuis 10 ans, n’est que partiellement vraie cependant. Il est vrai que la mise en place depuis plusieures années d’un système saisonnier de publication des animés, comprendre que les nouvelles séries/saisons paraissent tous les 3 mois d’après le rythme été,automne, hiver, printemps, imposent aux studios d’animation des cadences infernales qui s’ajoutent au travail monstrueux inhérent au processus de création qui, naturellement, a un coût. Fatalement, il en découle que certaines séries au financement déjà maigre se retrouvent avec une animation allant de passable à médiocre au fil des épisodes. Mais en tirer la conclusion que c’était mieux avant est à la fois présomptueux et passéiste. En effet, force est de constater que les technique d’animation ont objectivement progressé depuis les années 2000 et certains studios d’animation comme A1-Pictures, Ufotable ou Kyoto Animation sont reconnus pour la qualité de leur travail et ne semblent que peu souvent touchés par le problème, utilisant à leur avantage toutes les nouvelles technologies pour une animation fluide, dynamique et stable. Mais ce n’est pas le cas de nombreux autres studios, y compris les vétérans comme Madhouse (Death Note, One Punch Man, ACCA) ou Toei (Dragon Ball Super), qui finissent par se reposer en grande partie sur le remaster qui s’opérera sur le DVD/Blu-ray pour affiner leur travail a posteriori, une fois la contrainte de temps liée à la publication saisonnière passée.
Exemple assez parlant de remaster entre la version télévisée (haut) et le Blu-ray (bas) sur l’Attaque des Titans.

Ici, le lecteur attentif, et qui a lu le titre de l’article, est en droit de se poser la question: quel rapport avec The Tatami Galaxy? Eh bien, jeune impatient, il y a selon moi un lien intrinsèque entre le créatif et le manque de moyens. J’entends par là que les limites imposées par l’industrie sont à la fois un fléau pour l’animation de haut vol, qui doit être suivie d’un budget important et bien géré, mais aussi le meilleur moteur pour les créatifs. En effet le manque de moyens imposent des compromis, des sacrifices, que le studio va devoir faire, le talent se trouvant dans l’art de transformer ces sacrifices en opportunités et c’est en ça que j’estime que l’argument du “c’était mieux avant” est irrecevable, la situation actuelle étant différente et donc les productions n’ont plus rien à voir avec celles des années 90-2000. C’est dans cette logique que le tout jeune studio Trigger va utiliser des techniques d’animation différentes pour gérer son manque de budget et accoucher du très acclamé Kill la Kill, utilisant des effets collages à la South Park par exemple pour accentuer les effets comiques tout en économisant efficacement le budget pour être optimal dans les scènes d’action. On remarque aussi que ces compromis forgent aussi les scénarios qui tendent, dans les meilleurs cas, à ignorer les normes pour se démarquer encore plus. Et nous en arrivons donc à The Tatami Galaxy, qui rentre elle aussi dans cette catégorie: une série à l’animation et au scénario atypique qui tire toute sa force artistique des contraintes dans lesquelles elle a été forgé, n’ayant pas peur de sortir de la norme. En quoi est-ce une série atypique et pourquoi chacun d’entre vous a intérêt à se débrouiller pour la voir au plus vite une fois la lecture de cet article terminée ? C’est ce que je vais m’efforcer de vous prouver en abordant d’abord la série en elle-même et ses thèmes avant de rentrer dans le vif du sujet: l’animation et son sens.

Eternel recommencement et vie en rose

Après cette longue introduction, il convient donc de parler un peu plus en détails de la série. The Tatami Galaxy ou Yojouhan Shinwa Taikei (qui peut se traduire par “Les Chroniques Mythologique des 41⁄2 tatamis”) est une comédie dramatique parue sous forme de light novel avant d’être adaptée en 2010 par Madhouse en une série de 11 épisodes sous la réalisation de Masaaki Yuasa, grand touche-à-tout qui réalisera par la suite Space Dandy et Ping Pong, deux séries qui, elles aussi, expérimentent avec les techniques d’animations.

L’histoire est celle d’un étudiant au terme de son cursus universitaire, narrateur anonyme de l’histoire, désabusé par la vacuité de ses deux dernières années, tant sur le plan sentimental que social, les ayant gâchées entre son appartement de 41⁄2 tatamis et les activités de son club de tennis, ces dernières ne lui ayant pas donné la “vie en rose” qu’il imaginait sur le campus. Le premier épisode présente aussi Ozu, qui aime “assaisonner son riz du malheur des autres”, camarade d’infortune de notre héros et cause de tous ses problèmes. En effet, dans ce premier épisode, Ozu entraîne le narrateur dans une vaine croisade contre les gens en couple qui durera les deux ans qu’ils ont passé dans leur club et l’amenera, dans le climax de l’épisode, à décevoir Akashi, une autre camarade de classe qui servira au fil des histoires, à l’inverse d’Ozu, de boussole morale au héros.

Regrettant ses deux années oisives et poussé par les événements, il fait le vœu de pouvoir tout recommencer, jurant que ce coup-ci, il réussira à avoir sa vie en rose sur le campus. Dans les derniers instant de l’épisode, son voeu semble exaucé, on voit tout ce qui a eu lieu se rembobiner et le générique se lance. À partir de là, chaque épisode de la série, outre les deux derniers, verra le personnage principal tenter d’atteindre son objectif de vie étudiante épanouie dans différents clubs, chaque épisode l’amenant à rembobiner au bout des deux ans et de recommencer autrement.

La série utilise l’idée d’éternel recommencement comme on peut la trouver dans la pensée de Nietzsche à la fois comme outil comique, par l’utilisation de certaines répétitions d’un épisode à l’autre, notamment dans les apparitions d’Ozu et d’Akashi, mais aussi comme un

élément scénaristique et symbolique de l’insatisfaction inévitable que l’on ressent une fois ses attentes bafouées par la réalité.

Akashi fera à plusieurs reprise remarquer ses erreurs au héros.

C’est l’un des premiers point d’accroche de la série: la sympathie immédiate qu’on a pour le héros malgré ses perpétuelles erreurs, auxquelles il est très facile de s’identifier surtout si on est soi-même passé par là étant étudiant. On se dit que si on avait l’opportunité de tout refaire, on ferait autrement. Mais tel le héros qui va se retrouver dans diverses situations loufoques et mésaventures burlesques, il y a de grandes chances si notre vie recommençait de zéro sans qu’on le sache, comme dans l’idée de Nietzsche, on se retrouve inévitablement tourmenté par ce sentiment de manque et de regrets que la série décrit parfaitement.

Au niveau des personnages, ce format permet aussi une narration particulière qui va faire qu’un personnage abordé sous un angle épisode 3, se verra approfondi épisode 6 sous un tout autre angle, la situation du héros ayant changé du fait de l’éternel recommencement. Cela permet assez intelligemment de nous faire découvrir les personnages au fil de l’histoire tout en les développant petit à petit sans recourir aux ficelles de narration habituelles. Là encore, The Tatami Galaxy est très humain, car notre manière de percevoir ceux qui nous entourent dépend toujours d’un point de vue donné, le risque étant de ne jamais voir certains aspects des autres si on ne change pas de perspective, ce que permet la narration non-linéaire de la série qui autorise ces changements d’angles et crée des personnages (littéralement) multi-dimensionnels.

La structure a beau se répéter avec le choix d’une activité par le héros à l’entrée de la fac, le rapide résumé des deux ans ponctué inévitablement par l’arrivée d’Ozu et d’Akashi en cours de route, puis l’épisode en-lui même qui va toujours mener à un climax poussant le héros à vouloir tout recommencer une nouvelle fois, la série avance quand même et nous offre beaucoup d’éléments qui finissent tous par tomber à leur place lors des deux derniers épisodes, formant un final extrêmement satisfaisant à la boucle temporelle et aux tracas du héros.

The Tatami Galaxy est l’histoire de l’acceptation des incertitudes et des aléas de la vie, c’est un appel à regarder vers l’avant, à relativiser nos attentes et nos déceptions. Cela en fait pour moi une oeuvre de celles qui peuvent aider à surmonter les coups durs et qui marquent durablement.

“Où est le responsable [de la vie] ?”, une question que l’on s’est forcément posée.
La scène en question

“Le monde est composé d’une myriade de couleurs”

Cependant, The Tatami Galaxy c’est bien plus qu’un simple fable qui engage le spectateur par la manière dont elle est écrite, c’est une utilisation absolue de la couleur, des formes et de l’image animée pour transmettre une émotion.
Comme je le mentionnais en introduction, dans l’industrie de l’animation telle qu’elle est aujourd’hui, il est nécessairement pour marquer les esprits d’être à la fois original et économe dans sa production afin de créer des visuels forts sans qu’il n’y ait de perte dans la qualité de l’animation au fil des épisodes. Sur ce point, le scénario de The Tatami Galaxy offre un bonus à la série, l’éternel recommencement permettant de recycler certains visuels d’un épisode à l’autre mais la série ne tombe pour autant jamais dans la paresse et s’en tient à des visuels bien précis à utiliser pour un effet comique principalement. On peut citer par exemple la scène où le héros rencontre une étrange voyante qui revient tous les épisodes: la scène est quasiment toujours la même, seule la tenue du héros change et le prix que demande la voyante pour la séance qui ne fera qu’augmenter d’un épisode à l’autre. Un effet comique efficace, à moindre frais.

Au niveau de ses personnages, comme vous avez pu le voir au travers des différents exemple que j’ai utilisé, The Tatami adopte un style très simple, presque cartoonesque pour certains personnages, notamment Ozu. L’apparence de ce dernier, blafard, des yeux de serpents et un sourire monstrueux, fait d’ailleurs l’objet d’une révélation assez géniale en fin de série. Si cela peut constituer un élément de rejet de la série pour certains (Les ignares !), ils passeraient à côté d’un des points phares de la série: les expressions. En effet, ce style simple en apparence permet de jouer avec tout une série de déformations du visage des personnages et de jeu sur les couleurs selon leur humeur ou leurs réactions: les joues gonflées alors qu’ils se gavent de nourriture, le visage déformé de manière humoristique par la peur ou la surprise, etc.

Dans l’idée, étant donné que l’on perçoit le monde à travers les yeux du narrateur, son état va aussi altérer le décors, lui aussi, plutôt simple mais toujours charmant. Ainsi, alors qu’il est de plus en plus ivre, on le verra changer de couleur et de forme comme le monde autour de lui, les lignes se tordant et ondulant, les couleurs devenant de plus en plus flashies. Un autre exemple, plus intéressant encore, est celui de l’utilisation de photographies comme décors dans lesquels vont évoluer les personnages. Utilisées surtout pour les transitions et les ellipses, elles prennent parfois sens en fonction de la scène, notamment vers la fin de la série. A plusieurs reprises, au fil de la série, le narrateur fera les louanges de son minuscule appartement, âvre de paix et de calme dans cette vie trop compliquée, et on reviendra très régulièrement à ce dernier qui devient progressivement familié au spectateur. Cependant, les évènements amènent le héros à voir son lieu de vie comme un endroit aliénant et inquiétant, dans lequel il n’est plus à sa place. A partir de là, l’appartement est représenté uniquement sous forme de photographies en noir et blanc dans lesquelles le héros se déplace, lui toujours dessiné normalement se détachant clairement du fond, le décors reflétant, sans qu’aucun dialogue ne soit nécessaire, le sentiment du personnage.

Parce que vous ne feriez pas cette tête là, vous, si vous étiez condamnés à recommencer indéfiniment la fac ?
Exemple d’une de ces scènes utilisant la photographie.

Par ailleurs, et pour lancer un argument de plus au visage de ceux qui trouveraient ce style atypique “moche”, la série tire un charme et une aura de ces décors changeant. En effet, si les épisodes s’articulent autour d’un éternel recommencement, force est de constater que chaque épisode, voir même chaque scène, aura sa propre identité visuelle en fonction du lieu, de l’humeur ou du sentiment que la série cherche à partager. Cela passera, comme mentionné précédemment, par des formes et des couleurs qui donnent un rendu assez varié, chaque scène étant l’occasion de découvrir un nouveau style. Les couleurs des décors vont être associées aux émotions mais aussi aux personnages, renforçant leur identité à chacune de leur apparition, encore et toujours dans l’idée que dans ce monde vu à travers les yeux du narrateur, chaque personnage appose sa marque, ses sentiments, ses couleurs.

Ainsi, on constate que l’animation et les couleurs vont servir le sens de la série l’animation, tirant partie de ses limitations pour accoucher de visuels simples mais efficace, d’accordant une très grande expressivité aux personnages. Enfin, les palettes de couleurs utilisées font de la série un arc-en-ciel comme autant de tableaux que va traverser le héros, illustrant une des nombreuses leçons de la série: “La vie en rose ça n’existe pas. Pourquoi ? Parce que rien en ce monde n’est totalement rose, la vie est composée d’une myriade de couleurs.”

Les visages sont rouges à cause de l’alcool tandis que le fond et les boissons renvoient aux couleurs des personnages
Deux exemples de scènes très colorées où le héros rencontre Akashi.

En résumé, The Tatami Galaxy est un ensemble de leçons de vie essentielles camouflées sous les traits d’une comédie métaphysique. La série sait se faire posée et mélancolique comme drôle et burlesque mais toujours en trouvant les mots et les images qui touchent le spectateur là où il faut pour faire passer son message et les sentiments qui en découlent. L’empathie est probablement le mot d’ordre de la série: celle qu’on a pour les personnages et pour le héros, attachants et dans lesquels on se retrouve, mais aussi toutes les émotions qui semblent déborder de l’écran grâce aux formes et aux couleurs savamment utilisées pour ce résultat hors normes. Savoir saisir les opportunités, ne pas se perdre à vouloir l’impossible ou encore accepter les hauts et les bas de l’existence, telles sont les leçons que transmet The Tatami Galaxy grâce à l’empathie qu’elle va créer chez le spectateur, en faisant un voyage coloré qui ne laisse personne indifférent.